Oups...
Eh
bien ca y'est, nous sommes passés en Thailande. Mais
pas de la façon dont nous le voulions : nous avons
dû prendre l'avion...
Les iles Andaman étaient un cul-de-sac. La Thailande
n'était pas loin, pourtant : 500 km à peine.
C'était un pari dans le pari que de tenter cette voie
là pour continuer notre voyage. La seule voie enviseageable,
avec le Tibet. Mais pour ce dernier, le temps et l'équipement
manquaient.
A Port-Blair, nous avons couru les trois jetées de
la ville :
La jetée de Phoenix Bay ne comporte que les gros transporteurs
de la SCI, la compagnie nationale indienne.
Nous trouvons celle d'Aberdeen vide de bateaux.
C'est assez fébriles que nous allons explorer la dernière
jetée : Junglighat. Dans la rue vivante et animée
qui y mène se cache un peu de l'âme de Port-Blair.
Devant des cabanes de bois et de tôle, le long d'une
allée en terre qu'une intense averse vient de transformer
en ruisseau, on prépare et on vend les poissons de
la pêche du jour; les fruits splendides fraichement
ceuillis et ramenés des iles avoisinantes s'amoncèlent.
Junglighat
est le port de pêche de Port-Blair. Au bout de l'unique
ponton sont amarrés quelques navires. Une grande barque
décharge sa cargaison de bananes, vertes et sur leur
branche encore, qui est immédiatement transbordée
dans des camions.
Quelque part dans la baie, une radio hurle un tube local dont
l'écho envahit la rive. Sur le ponton, les équipages
déambulent, boivent le chay (thé, préparé
avec du lait et du sucre), discutent.
Nous sommes un peu intimidés. Nous avisons un vieux
chalutier thailandais à la coque en bois éclatante
de couleurs vives, au pont tendu de hamacs. Ils doivent être
une vingtaine à bord, à peine 20 ans pour la
plupart. Ils nous considèrent avec un mélange
d'amusement et de curiosité. Leur capitaine, une quarantaine
d'années, placide et moustachu, ne parle pas Anglais.
Nous tentons de lui expliquer que nous cherchons à
embarquer pour la Thailande, que nous payons notre passage
(plutôt bien, d'ailleurs), voulons savoir quand il part.
Peine perdue : il nous fait comprendre que le navire est coinçé
là, sans autorisation de débarquer, ni de repartir...
Curieux bateau, et curieux équipage... vers quels espoirs,
ou plutôt vers quelles nécessités allait-il
?
Après plusieurs autres essais, nous quittons finalement
la jetée, bredouilles.
Dernier
espoir : trouver un intermédiaire qui nous mette en
contact avec les bateaux privés, plaisanciers ou marchands,
susceptibles de nous prendre.
Mais les Andamans ont un régime particulier : aucun
bateau ne peut les quitter sans une autorisation spéciale
et longue à obtenir. "Nobody will do that for
you", nous prévient-on...
En effet... nos gesticulations parviennent juste à
rabattre vers nous quelques offres de traversées, floues
et probablement clandestines, que nous refusons.
Nous sommes coinçés. Il nous faut nous résigner
: ce sera l'avion. Port-Blair / Calcutta, puis Calcutta /
Bangkok.
Quand
ce projet est né, il y a bientôt deux ans, l'avion
en était d'emblée exclu. Nous n'avons pas cessé
depuis de tenter de nous tenir à cette unique règle,
que nous pensions naïvement simple.
Ce n'est pas que nous n'aimons pas l'avion. Mais en avion,
on ne voyage pas : on se déplace.
Nous mettons, entre Port-Blair et Calcutta, deux heures à
faire le chemin que nous avions mis quatre jours à
parcourir en bateau. Cette traversée là était
longue, usante, mais au moins, c'était de la vie...
nous les avons rêvées, les Andaman !
Et quand finalement elles sont sorties de l'horizon, entre
deux rideaux de pluie, le sentiment que nous avons éprouvé
était bien plus fort que ce que nous inspire la vision
de Calcutta qui apparait déjà au travers du
hublot, figée et glacée comme une photographie.
Nous
passons cette nuit là à Calcutta. Nous regrettons
de ne pas avoir plus de temps à lui consacrer, tant
la ville nous secoue d'emblée : elle vibre avec autant
d'intensité que Bombay, mais d'une autre couleur, d'une
autre animation.
La foule est tout aussi bigarée, on doit marcher sur
la route tant les trottoires sont surchargés d'étals
où l'on vend pêle-mêle épices, thé,
poules, pièces de scooters, fruits, poissons... L'air
est saturé du bruit des klaxons et des odeurs les plus
variées : de celle de l'ordure et de la charogne à
celle des encens les plus délicats.
On appelle Calcutta "la cité de la joie".
Je ne sais pas pour la joie, mais la bouffée à
la fois brute et âpre de vie que nous y prennons lors
de cette trop courte escale nous laisse pentelants, quand
le lendemain un nouvel avion nous enlève pour Bangkok.
La
Thaïlande est arrivée sans prévenir. Auparavant,
nous avions senti chaque pays venir bien avant d'en avoir
franchi la frontière : nous pouvions doucement sentir
changer les paysages, les visages, les costumes et les coutumes,
annonçant la nouvelle étape.
Pas cette fois, avion oblige... du coup, nous prenons en plein
visage le décalage immense qui sépare l'Inde
de la Thaïlande. C'est une claque comme nous aimons en
recevoir parce que celles-çi sollicitent chaque sens,
accaparent l'esprit qui essaye d'appréhender les mille
changements qui lui sont offerts.
Tout à changé. Oublié le chaos qui semble
anéantir tout effort d'organisation en Inde. Ici, tout
est carré et précis. Et même une question
simple appelle une réponse précise. Nous en
pleurerions...
Disparues des routes, les vaches, les chèvres et les
chiens.
Envolées, les femmes en sari superbes.
Dispersée, l'épaisse fumée des rickshaws
qui flotte sur les villes comme une mauvaise brume. Et nos
klaxons, nos tas d'ordures, et mes poulets tandoori...
La Thaïlande, du moins dans les endroits que nous traversons,
vit au rythme occidental. Tout est propre, organisé,
presque asseptisé.
Tout ici, et surement un peu trop, est amenagé pour
le confort du touriste occidental qui ne s'y trompe pas et
vient en rangs serrés.
Nous
quittons Bangkok le jour même, dimanche 21. Notre train
de nuit n'a pour passagers que des "backpackers"
(littéralement celui qui porte un sac à dos
: nous, en somme). Nous arrivons au matin à destination
: Chiang-Maï.
Cette grande ville du nord de la Thaïlande a pour nous
deux avantages : elle est proche de la frontière laotienne,
et elle comprend un centre de dressage d'éléphants.
Nous les avions ratés en Inde, nous ne pouvions pas
les laisser passer ici... Quels Phileas Fogg et Passepartout
ferions nous, sinon ?
Nous
partons demain matin pour le Laos. Après une période
lente et poussive en Inde, nous nous apprêtons à
renouer avec l'urgence et la vitesse pour rattraper le retard
que nous avons pris. Prochaine étape : Hong-Kong, à
2500 km d'ici.
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