A
l'Est, rien de nouveau...
Nous quittons Bombay pour Madras le 9 novembre. Nous ésperons
prendre de là le ferry pour les iles Andaman, qui part
le 11. Notre expérience de Bombay, déjà mince, aurait
été tout à fait incomplète si nous n'avions
pas eu l'occasion testé son train de banlieue : la
ville comporte de nombreuses gares, et c'est le mode de transport
que nous choisissons pour rejoindre notre train de nuit.
Tout d'abord, nous sommes un peu déçus : peu de monde dans
le wagon, grosse masse de bois et de métal à la peinture
bleue délavée, et au plafond duquel se balance une véritable
forêt de poignées : petite évocation de la foule qui doit
s'y pendre désepéremment en temps ordinaire.
Instant de poésie : un marchand ambulant passe dans la travée,
propose aux voyageurs carnets de coloriages et crayons de
couleurs. Je le regarde d'un air rêveur, mais on me tape sur
l'épaule : Dadar Station approche. C'est là que nous
descendons. Gilles et moi nous levons, endossons nos sacs
à dos. Les passagers sont quelques uns devant la porte
du wagon; toujours grande ouverte. Ils nous font de grands
signes : il va falloir sauter. Nous échangeons un regard perplexe
: il ne s'arrête pas, ce train ?
Au moment où le train entre en gare, nous comprenons
: des centaines de personnes sont amassées sur le quai. Le
train est encore lancé mais déjà la foule se
met en mouvement.
Pour espérer sortir du train, la seule solution est de sauter
avant qu'elle ne commence à monter. Devant les portes,
nous subirions alors une mort atroce...
Il faut sauter. Avec mes 62 kg, je m'applatirai sur la marrée
humaine, qui me remettrait dans le train dans son mouvement.
Mais lesté des 13 kg de mon sac à dos, mon coefficient
de pénétration dans la foule devient nettement plus intéressant.
Ajoutons à celà les 10 km/h du train encore
en mouvement, et je deviens redoutable (petit jeu : ?partir
de ces informations, quelle est la masse de Nicolas au moment
où il saute du train ? Vos réponses sur 80j@free.fr,
et gagnez votre poids en poulet tandoori).
Avec nos sacs, dans cette lumière bleu-vert, nous avons l'impression
de rejouer le saut des parachutistes américains sur Sainte-Mère-l'église...
je saute. Gilles, un peu surpris, par mon saut soudain, n'a
pas le temps de fixer son parachute ; il se rétablit de justesse
sur un passager qui tente de monter. Je m'enfonce dans le
foule comme dans du beurre. Quand je m'arrête enfin, je n'ose
pas me retourner pour contempler les corps inertes que j'ai
du laisser dans mon sillage...
Le train de nuit pour Madras s'ébranle à 20h30. 24
heures de trajet nous attendent.
Au matin, nous nous réveillons sous un ciel lourd : dans le
sud de l'Inde, c'est la saison des pluies. L'air est humide,
nous traversons des paysages d'un vert intense et des terres
inondées.
Madras, enfin. Une grande ville de plus, pensons-nous en arrivant.
Nous nous sentons saturés des gaz d'échappement et des hurlements
des rickshaws.
Mardi matin, nous nous rendons près du port pour acheter nos
billets de bateau. Mais, après avoir couru les trois étages
de bureaux de la Shipping Corporation of India, nous apprenons
que le ferry est en fait parti la veille. Le prochain part
le 13 novembre...
Nous passons le reste de la journée à chercher une
alternative. On nous apprend qu'un cargo indien se rend à
Port-Kelang, en Malaisie... faux espoir, il ne prend pas de
passagers. Nous voilà donc coinçés deux jours de plus.
Madras nous semble encore plus sombre, maintenant. En attendant
notre bateau, nous décidons de nous exiler à Mammalapuram,
une petite ville cotière à 60 km de là.
L'idée était bonne. Dans cette ville de pêcheurs et de tailleurs
de pierre, nous découvrons un peu plus de l'Inde que ce que
l'unique fréquentation des grandes villes nous en avait livrée.
Les gens sont souriants et cordiaux, et nous déambulons dans
les nombreux temples qui jalonnent la ville et son rivage.
La vie y est dangereuse, cependant, et nous sommes victimes
d'agressions sauvages : une vache bouscule Gilles et le poursuit
dans la ville. Un singe me pique le sac de bananes que je
viens d'acheter.
Surtout, c'est en ce moment la fête de Deepavali, la fête
de la Lumière : l'une des plus importante fête religieuse
indienne, on y célèbre le jour de la déstruction par Krishna
du démon des ténèbres, Narakasura. Celà se traduit
notamment par des pétards et des feux d'artidice qu'on fait
exploser partout, jour et nuit. L'affaire est sérieuse : passants,
voiture et vaches attendent sagement que les pétards aient
explosés pour poursuivre leur chemin.
Un intense rideau de pluie vient de s'abattre sur la Mammalipuram.
Plus de pétards. Dans quelques heures, nous reprendrons notre
route. Nous quitterons Madras demain, pour trois jours de
mer vers les Andamans.
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