Le
bus 0404...
Nous quittons l'Iran mercredi 27. A 13h30 notre bus, qui relie
Esfahan à Zahedan (à 100 km de la frontière
pakistanaise) s'ébranle.
Notre objectif est de gagner la ville de Lahore à l'Est
du Pakistan, via Zahedan, la frontière et la ville de Quetta.
En tout, environ 70 heures de voyage entre bus et train, pour
rattraper une autre journée de retard.
On a tout entendu sur le Pakistan. Nous nous appretons à
y rentrer sans guide, sans carte, avec juste l'idée d'un itinéraire
et d'horaires de transport. Vague appréhension.
Pour l'heure, nous quittons l'Iran. On ne prétend pas parler
d'un pays quand on l'a traversé en cinq jours. Mais
pour nous, ces quelques jours nous auront donné le
gout de l'Iran, si acceuillant, tiraillé entre ses
multiples contradictions, son frémissement de liberté
presque palpable...
Nous arrivons à Zahedan à 5h00 du matin. Changement
de climat : air du matin glacial et sec, nous sommes aux portes
du désert. Nous repartons à 13h00 pour le poste frontière
de Mirjave. 100 km de route, en taxi, au travers d'un désert
planté de montagnes aux incroyables teintes roses.
Nous atteignons le poste frontière. Nous décidons de franchir
la frontière à pied, bien plus rapide que l'interminable
file de véhicules, qui peuvent attendre plusieures heures...
Les passages de frontière sont toujours des moments de tension
et de stress. Sur une saute d'humeur de douanier, tout peut-être
compromis.
Portraits de Khomeini au mur, affiches de propagande, le poste
irannien a des allures de décors de cinéma pour grosse production
hollywoodienne...
Celui du Pakistan ressemble plutôt à un poulailler
: cour blanche et poussièreuse, patio sur lequel sont assis
quelques Belouchis en shalwar-kamiz, le pantalon et la tunique
tradiotionnels de la région. Dans un bureau qui ressemble
cette fois à un clapier à lapin, avec sa petite
porte grillagée, quatre hommes s'affairent : deux remplissent
des registres, un autre tamponne des passeports, un quatrième
lit le journal...
Un sergent nous escorte au bureau de douane. Dernières formalités
administratives, registre, questions : -"comment voyagez-vous
?" -"en bus". -"dépechez-vous, il part dans deux minutes..."
Une fois de plus, nous avons oublié de remonter nos
montres... 1h30 de plus qu'en Iran.
Nous quittons le bureau en trombe, gagnons une petite place
encombrée de gens affairés, de chèvres et de dromadaires.
Un gros bus orange et un peu passé sur le départ, klaxone
furieusement. On hisse nos sacs sur le toit, et nous partons.
Nos premières heures au Pakistan sont d'une incroyable intensité:
jusque là nous voyagions en terrain familier, sur nos
repères occidentaux.
Ici, tout se dérobe à nous, il nous faut apprendre
de nouveaux codes. L'immersion est brusque, mais ces moments
d'adaptation forcée font pour nous toute la richesse du voyage.
Notre bus porte le numéro 0404. Nous ne savons pas trop a
quoi ca correspond, mais il reste pour nous le bus 0404.
Incroyablement inconfortable et chaleureux, avec ses sièges
qui grincent, ses vibrations, sa cargaison de centaines de
paquets de lessive qui occupent tous les espaces vides. La
couchette du second chauffeur le long du pare-brise, le patron
du bus, fier come un capitaine de navire, contemplant l'horizon
par-dessus l'epaule du conducteur.
Sitôt entrés dans le bus, on nous acceuille avec chaleur.
Les passagers nous saluent, partagent avec nous nourriture
et boisson.
Jamais nous n'avons connu pareille hospitalité Au Pakistan,
aider et orienter l'étranger est une règle d'or. "Nous avons
le devoir d'acceuillir nos invités", nous explique un des
passagers. A mediter...
Le bus, pour atteindre Quetta, traverse le desert du Balouchistan
: décors époustouflant, tantôt de dunes de sable gris, tantôt
d'une plaine infinie et plate, juste coupée par la route.
A de multiples reprises, nous croisons des patrouilles de
soldats lourdement armés, franchissons de multiples check-points
: le Blouchistan est une région dangereuse, mal controlée
par les autorités.
Lorsque, à deux reprises, le bus creve, la tension
est palpable.
La route au milieu du désert est régulièrement ponctuée de
ce qu'il faut bien appeller des salons de thé routiers...
Ce sont des petits relais où se croisent voyageurs
et soldats, et où on nous invite à chaque arrêt
à déguster le "chay" (thé préparéavec
du lait), assis sur des tapis fatigués, un toit de branchages
au dessus de la tête.
Au matin, arrivés à Quetta, nous quittons presque à
regret notre bus 0404...
Le long trajet en train, 24 heures entre Quetta et Lahore,
nous reserve encore bien d'autres rencontres.
Le train est rempli, bruyant et vivant. On nous considère
avec curiosit? et rapidement la nouvelle de la présence de
deux occidentaux ?bord se propage. On vient nous saluer, on
nous presse de questions sur cet ailleurs qu'ici nous représentons.
A de multiples reprises, on nous propose l'hospitalit? Nous
rencontrons notamment Adnan et ses cinq amis. Agés entre 18
et 25 ans, ils sont curieux et cultivés, ils dévorent la vie.
Ils reviennent de Turquie, d'o?ils ont tent?de passer clandestinement
en Grèce. Arretés, ils nous racontent comment pendant deux
mois on les a prommen?de prisons turques en prisons iraniennes,
et ce qu'ils y ont subi...
La province du Punjab, enfin. Il y a des noms qui font rêver
par leur seule consonnance : Jaipur, Terre de Feu, Samarkand...
Punjab.
Lahore en est la capitale.
Sur place, nous passons ?l'Alliance française o?nous retrouvons
Matthieu, expatrie francais et passionn?du pays, avec qui
nous étions en contact. Il nous fait visiter la vieille ville,
?la nuit tombée. Course dans le bazar labyrinthique ; danse
des néons et des enseignes ; odeurs de la nourriture qu'on
prépare ?chaque coin de ruelle ; vacarme des motos et des
rickshaws qui slaloment entre étals et piétons.
Après 70 heures passées sans réel repos, cette promenade nocturne
nous laisse l'impressions d'un rêve hallucin? Nous sommes
gavés d'émotions et de sensations. De retour ?l'hotel, nous
tombons épuisés.
Prochaine étape, Bombay via Delhi. Nous apprenons que nous
ne pourrons pas trouver de bus ou de train avant mardi. La
course recommence...
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