So
British
Il pleut dehors. Ces voitures qui roulent dans le mauvais
sens, ces gares et ces places qui portent des noms de défaite,
et l'éclat rouge des bus à impériale et des cabines téléphoniques.
Pas de doute : nous sommes bien à Londres.
Mister Gilles et moi-même sommes donc revenus en Europe. Par
l'autre côté. Damned. En descendant de l'avion de New York
le 29 décembre, nous avons très vite sentit le changement,
la cité européenne ne ressemble à aucune autre : posée, sûre
d'elle-même et un rien prétentieuse, elle est bien assise
sur ses rues séculaires. Elle affiche une gêne évidente devant
la débauche de modernité, de verre et d'acier que, de Shangai
à Tokyo ou New York, on arbore sans retenue.
Ainsi, la vieille ville d'Europe est avec le temps devenue
un personnage à part entière. Elle a son caractère. Et Londres
est orgeuilleuse, et flamboyante.
Quelle ville ! Tradition, histoire, magma des tendances et
des idées, y entretiennent un rapport curieux et complexe.
A tous les niveaux, Londres est cosmopolite. Tout et tous
se croisent sur Picadilly Circus : toutes les origines, toutes
les histoires, la société occidentale dans toutes ses déclinaisons,
de l'expression de sa plus fine aristocratie à sa marginalité
la plus engagée. Rien ne choque et rien n'étonne ici.
Sitôt arrivés et nos sacs posés, premier objectif : 7 Savile
Row, le repaire de Phileas Fogg. C'est une petite rue calme
du centre de Londres, près de Soho. Nous la trouvons facilement.
Le numéro 7 est un immeuble discret du siècle dernier, dont
le rez-de-chaussée est occupé par une boutique en travaux.
Bref receuillement, et nous repartons pour la seconde partie
de notre pélerinage londonien : de Savile Row, nous nous rendons
au 104, Pall Mall, à dix minutes de là : le Reform Club, d'où
Phileas Fogg part pour le tour du monde en 80 jours.
Pall Mall est une avenue large mais courte, entre Trafalgar
Square et Green Park. Elle est bordée de luxueux immeubles
et sur son long s'ouvrent quelques uns des plus prestgieux
clubs Londoniens. Rien ne signale le Reform Club. Les volets
sont clos sur la facade en pierre. Le batiment, du XIX eme
siècle, est massif, sur son pourtour court un parapet surmonté
de lampadaires. Celui-ci s'ouvre sur une massive porte verte.
Aucune autre inscription que le "104 Pall Mall" porté par
une plaque de cuivre rutilante.
Nous nous attardons un moment, un peu rêveurs, un peu déçus,
puis nous partons nous perdre dans Londres.
L'air est doux. Le 31, la ville se prépare avec légèreté et
animation au Nouvel-an. Les rues sont vivantes, on flane dans
Soho, on se bouscule sur Picadilly. Ce matin, Londres se réveille
avec la gueule de bois. Nous aussi. Londres et nous, nous
nous sentons un peu engourdis. Journée de repos pour tout
le monde...
Nous quittons la Grande-Bretagne demain : Douvres, Calais,
relâche à Abbeville. Et, lundi matin, retour sur Amiens. Nous
irons achever notre tour là où nous l'avons commencé 80 jours
auparavant, à la maison de Jules Verne.
Troublant sentiment, que celui du retour tout proche. Nous
sommes revenus en Europe, venons de déposer Phileas Fogg.
Et maintenant nous nous tenons sur le seuil, et surgit un
terrifiant mélange d'exitation et d'appréhension : heureux
de rentrer, oui. Mais rentrer comment ? Comment faut-il revenir
de 80 jours de tour du monde, d'une explosion de couleur,
d'émotions et de sensations à chaque instant renouvelée ?
Comment passer aussi brusquement du mouvement à l'immobilité
? Et tout s'arrête t'il vraiment lorsqu'on tourne la clef
dans la porte ?
Le temps du voyage n'est pas celui de l'ordinaire. C'est un
condensé de vie et d'expérience. Mais voyager, c'est aussi
savoir revenir, il faut se remettre de ce décalage.
Rendez-vous dans quelques jours pour une dernière page actualité
: dernières photos, dernier texte, Amiens, Paris et le retour...
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