On
the road
Et si Jules Verne rencontrait Jack Kerouac ?
Nous jouons avec cette idée, quand nous décidons de traverser
les Etats-Unis en voiture, tout en suivant à la trace l'itinéraire
de Phileas Fogg et Passepartout à bord du Pacific Railroad.
Pour trouver une voiture aux Etats-Unis, il n'y a qu'à se
baisser : la notre, nous sommes chargés de la convoyer pour
son propriétaire de San Francisco à Chicago. Elle ne nous
coûte donc rien.
Nous quittons ainsi San Francisco le 16 décembre. Là commence
notre "road-trip", qui va durer quatre jours, sur plus de
3000 kilomètres.
A Salt Lake City, Green River, Denver, Omaha, Kearney, nous
suivons de près Phileas Fogg. Nous traversons successivement
la Californie, le Nevada, l'Utah, le Colorado, le Nebraska,
l'Iowa et l'Illinois.
Dans le Nevada et l'Utah, nous parcourons d'immenses plaines
désertes d'où surgissent par intermittence quelques montagnes
basses et peuplées uniquement de bosquets et de brillantes
plaques de neige.
Dans ce vaste désert se déroule le ruban de la route, désespérement
rectiligne. Le 17 décembre, nous parcourons 300 km sans traverser
le moindre bourg...
Ces paysages sont grandioses, immenses, vertigineux. Les nuances
infinies de ces étendues désertiques nous coupent le souffle
par leur beauté brute. Nous ignorons, en Europe, cette notion
de l'espace...
Puis c'est le Colorado. Nous traversons le nord des Rocheuses,
toutes enneigées. Montagnes basses qui se succèdent, l'Interstate
70 se tortille sur leur flanc. Puis nous redescendons sur
Denver. Là commence la grande plaine du Midwest : dans le
Nebraska, c'est d'abord une succession de collines douces
et unies, couvertes d'herbe jaune et dans lesquelles le regard
et l'immagination se perdent volontiers.
Puis bientôt la plaine se transforme : en campagne tout d'abord,
et dans l'Iowa en vastes champs labourés jusqu'à perte de
vue, plantés ca et là de fermes et de silos à grains.
Passé le Mississipi, c'est l'Illinois : le paysage s'urbanise
doucement jusqu'à Chicago, qui surgit de la plaine et nous
délivre de ce désert humain de 3000 kilomètres...
Parce que humainement, la traversée de cette étendue est éprouvante.
Nous nous arrêtons chaque soir dans des villes informes, semées
de motels, de fast-foods et de stations services, peuplées
d'une population de morts-vivants.
Sur notre chemin, lors de ce tour du monde, nous avons trouvé
à chaque arrêt de l'âme et de l'hummanité. Mais là, au fin
fond de l'Amérique, nous ne croisons que des regards vides
et du néant...
Nous mangeons la seule nourriture qui nous est proposée ;
nous dormons le soir dans les motels bon marché où le prix
de la chambre dépend de la taille du lit, et où l'on recoit
en dépôt en même temps que la clef de la chambre, la télécommande
qui permettra de faire semblant d'éponger son ennui devant
les 80 chaines (chaînes ?) de télé.
Cette traversée est hypnotique et fascinante. Mais au bout
de quatre jours, Chicago nous apparaît comme un phare dans
la nuit.
Il nous semble qu'il existe deux Amériques : celle des grandes
villes, toujours surprenante, pétillante et trépidante, et
celle des immenses espaces qui les séparent...
Chicago ne vibre pas de la même vie que San Francisco : bien
plus américaine à sa façon, elle est plus agitée, plus excesive,
moins "posée". Elle pétille de vie, à l'image des notes de
jazz dont elle résonne et s'enorgeuillit. C'est une ville
verticale : les tours sont vertigineuses, leur architecture
baroque et parfois si raffinée qu'on les reconnait au premier
coup d'oeil et que pour un peu, on leur donnerai des petits
noms... à leurs pieds circule toute une vie urbaine, émouvante
et attachante si on sait la regarder.
Le vent est glacial, la température avoisine les -15 degrés.
Les doigts de Gilles se paralysent sur le déclencheur de l'appareil
photo, et nous nous réfugions dans un café tous les 200 mètres.
Long chemin parcouru, depuis les tropiques...
Partout dans les rues, nous rencontrons les échos de Noel,
chants, sapins, rubans rouges, jusqu'aux oreilles des chevaux
de la police montée qui sont coiffées de délicats bonnets
à pompons : on sent bien que l'affaire, ici, est sérieuse.
Alors pour passer inaperçus, nous nous sommes nous aussi offert
des bonnets à pompons... Nous les arborerons fièrement dans
les rues de New-York, le 24 décembre.
Le départ est prévu pour demain. Cette fois, ce sera le bus,
et sans doute avec de nouvelles visions de l'Amérique.
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